Un petit clic pour une grande claque

Dans mon article « L’Autophagie, quand l’IA se nourrit d’elle-même » (à découvrir absolument si vous l’avez manqué) j’écrivais la chose suivante :

[…] Les données sont éloquentes : la proportion de contenus générés artificiellement dans les premiers résultats de recherche a augmenté de 47% depuis janvier, dessinant les contours d’une transformation profonde de notre paysage informationnel. […] Les recherches menées par l’équipe du Dr. Sarah Chen à Stanford suggèrent qu’un ratio optimal se situerait autour de 60% de données humaines authentiques pour 40% de contenus générés, une proportion qui permet de bénéficier de la puissance de l’IA tout en préservant l’ancrage dans l’expérience humaine […]

Ces deux passages m’ont donné le point de départ de mon billet d’humeur du vendredi …

L’IA GÉ-NÉ-RA-TIVE ! Personne ne s’interroge plus sur les implications de cette mutation profonde qui consiste à sous-traiter nos cerveaux à des machines. Pourquoi le ferions-nous ? Ce serait comme demander à un poisson rouge de s’inquiéter de la qualité de l’eau pendant qu’il admire son nouveau château en plastique. Tellement plus important !

Évidemment, tout n’est pas mauvais, bien au contraire. L’IA nous apporte et nous apportera d’indéniables merveilles, médecine de précision, solutions climatiques, créativité augmentée, etc… une corne d’abondance de progrès à portée de clic ! À condition, petit détail anodin, de savoir s’en servir sans finir comme ces conducteurs qui suivent aveuglément leur GPS jusque dans un lac. « Mais le GPS a dit de continuer tout droit, alors j’ai continué… » Une technologie brillante entre les mains de ceux qui savent (encore) réfléchir reste un miracle. Pour les autres ? Une simple ironie cosmique en préparation !

Par exemple que dire de cette farce moderne qu’est devenu le recrutement ? D’un côté, des DRH déléguant la sélection à des IA traquant des mots-clés. De l’autre, des candidats optimisant leurs CV avec d’autres IA pour séduire ces mêmes algorithmes. Splendide dialogue machine-to-machine où deux intelligences artificielles se draguent par CV interposés, pendant que les humains concernés attendent anxieusement de savoir si leur avatar numérique a passé le filtre. L’apothéose ? Le jour de l’entretien, quand deux êtres humains se rencontrent enfin et découvrent qu’ils n’ont aucune idée de qui se trouve face à eux, ayant intégralement sous-traité leur identité professionnelle aux machines.

Et je ne compte plus les pseudo-experts en IA qui arpentent les webinaires LinkedIn avec leurs présentations alarmistes entièrement générées par… l’IA. Ces prophètes de malheur numériques, slides léchées et phrases-chocs en bouche, mettent solennellement en garde contre les dangers d’une technologie qu’ils utilisent eux-mêmes pour écrire leurs propres avertissements. Une mise en abyme d’ironie qu’ils sont les seuls à ne pas percevoir, trop occupés à monnayer leur inquiétude préfabriquée auprès d’un public qui applaudit la performance sans réaliser qu’il assiste à une ventriloquie algorithmique.

Si l’on continue à cette vitesse à sous-traiter nos cerveaux à des machines, qu’en restera-t-il dans quelques années ? Une relique sympathique, comme ces téléphones à cadran que l’on garde pour leur valeur décorative. « Regarde chéri, c’est un cerveau humain d’époque ! On le met à côté du fax ?« 

Juste le pouvoir, immense et dangereux, d’appuyer sur un bouton, un petit clic et une grande claque en perspective, mais qui s’en soucie ? Certainement pas la grande majorité des gens, trop occupés à demander à leur IA quelle émotion ressentir aujourd’hui. Hilarant, n’est-ce pas, cette façon dont nous abandonnons notre autonomie intellectuelle avec la même désinvolture qu’un adolescent jetant ses chaussettes sales par terre ?

En fait, il faudrait peut-être le demander aux machines, ça nous éviterait d’avoir à y penser. Brillante idée ! Et pourquoi ne pas aussi leur demander de nous dire quand respirer, quand cligner des yeux, et pourquoi pas, quand nous reproduire ? « Alexa, est-ce le bon moment pour perpétuer l’espèce, ou devrions-nous gentiment laisser la place aux robots ?« 

En attendant, continuons notre marche glorieuse vers notre propre obsolescence programmée avec le sourire béat de celui qui croit encore que la laisse qu’il porte au cou est en réalité une cravate très tendance.

Un petit clic pour l’humanité, pour un grand pas vers notre reconversion en animaux de compagnie numériques. Sauf si nous décidons, dans un sursaut de conscience collective, de reprendre les rênes de notre propre évolution et de voir la technologie pour ce qu’elle devrait être : un outil à notre service, et non l’inverse. Une Intelligence Augmentée et non une Intelligence Artificielle.